Petite anecdote : la charpente en bois d'une toiture lourde peut peser plus de 120 kg/m², tandis qu'une toiture légère ne dépasse pas 70 kg/m² ?
En effet, la construction d'une charpente traditionnelle est un art précis qui nécessite une expertise particulière. Les fermes doivent être assemblées avec des techniques spécifiques, notamment le tenon/mortaise, et les chevrons doivent être positionnés avec un écartement précis entre 40 et 60 cm.
Les fondamentaux de la charpente traditionnelle
La charpente traditionnelle représente l'âme même des constructions françaises depuis des siècles. Pour bien comprendre cet art ancestral, il faut d'abord explorer ses racines et son évolution au fil du temps.
Définition et histoire du métier de charpentier
Le métier de charpentier est l'un des plus anciens dans le domaine de la construction. Un charpentier est un spécialiste qui conçoit, fabrique et pose des assemblages participant à la constitution de l'immeuble, principalement la charpente et l'ossature générale. Ce métier existe depuis l'Antiquité, où les premiers temples grecs étaient construits en bois, contrairement à l'Égypte où le bois était rare.
Au Moyen Âge, particulièrement à partir du 12e siècle, le charpentier devient un professionnel aux compétences reconnues avec un savoir-faire technique très spécifique. À cette époque, on comptait déjà 95 charpentiers à Paris en 1292. C'est également à cette période que se développent des techniques essentielles comme l'assemblage à tenon-mortaise et le piquage au plomb, ainsi que l'art du trait de charpente permettant la conception tridimensionnelle d'édifices complexes.
L'apogée de l'art de la charpenterie se situe au XVe siècle, avec des assemblages simples mais bien proportionnés à la force des bois. Le charpentier médiéval se suffisait à lui-même, n'ayant que rarement recours au serrurier pour renforcer ses assemblages, contrairement aux charpentes modernes où le métal vient souvent suppléer à la faiblesse des assemblages en bois.
Au fil des siècles, notamment pendant la Révolution industrielle au XIXe siècle, le métier a évolué avec l'introduction de nouveaux matériaux comme le fer et l'acier, donnant naissance aux "charpentiers en fer". Aujourd'hui, avec l'essor du développement durable depuis les années 1970, le bois connaît un regain d'intérêt dans la construction.
Les différents types de charpentes en France
La France possède une riche tradition en matière de charpentes, avec plusieurs types qui ont évolué selon les époques et les régions.
La charpente traditionnelle est constituée principalement de fermes, de pannes et de chevrons. Une ferme est un assemblage de plusieurs pièces de bois massif comprenant les arbalétriers, l'entrait et le poinçon comme réseau principal, complétés par les contrefiches, les jambes de force, les diagonales et les potelets.
Les essences de bois utilisées varient considérablement selon les régions et les époques. Pour les résineux, on trouve le sapin, l'épicéa, le mélèze, le pin et le Douglas; pour les feuillus caduques, le peuplier tremble, le châtaignier, l'orme et le chêne. Le choix dépend souvent des ressources locales disponibles et du budget alloué pour les travaux.
En termes de construction, on distingue plusieurs variantes:
- La charpente à pannes
- La charpente à chevrons porteurs
- La charpente à fermettes (plus moderne et industrielle)
Historiquement, certaines régions françaises utilisaient des "
chevrons formant ferme", c'est-à-dire de petites fermes constituées à chaque paire de chevrons. Cette technique, abandonnée en France à la fin du Moyen Âge, a perduré jusqu'au XXe siècle en Europe centrale, évoluant vers les actuelles "fermettes".
Avantages de la charpente traditionnelle face aux techniques modernes
La charpente traditionnelle présente de nombreux atouts par rapport aux méthodes contemporaines de construction:
- Flexibilité architecturale : Elle permet de créer des espaces vastes sans poteaux intermédiaires, offrant une grande variété de formes de toiture
- Durabilité exceptionnelle : Construite avec des matériaux de qualité, elle peut durer plusieurs siècles avec un entretien approprié
- Esthétique incomparable: Les poutres apparentes confèrent un charme rustique et authentique à l'intérieur de l'habitation
- Aménagement optimal des combles : L'espace sous la charpente peut être facilement transformé en pièces habitables
- Résistance au feu supérieure : La section importante des pièces de bois offre une meilleure résistance aux incendies que certaines structures modernes
Cependant, ces avantages s'accompagnent de certains inconvénients comme un coût plus élevé (entre 60 et 100 € par mètre carré hors pose), un temps de réalisation plus long et un poids plus important nécessitant parfois un renforcement des fondations.
La charpente traditionnelle a traversé les siècles en s'adaptant tout en conservant son essence. Malgré l'apparition de nouvelles technologies et matériaux, elle reste aujourd'hui une référence incontournable, notamment pour ceux qui recherchent authenticité, durabilité et caractère architectural dans leurs constructions.
Conception et préparation d'une charpente
La préparation minutieuse constitue le fondement de toute charpente traditionnelle réussie. Avant de tailler la première pièce de bois, un travail considérable de conception, de calculs et de sélection des matériaux s'impose.
Lecture et création de plans de charpente
La conception d'un plan de charpente représente l'étape préliminaire indispensable à sa réalisation. Ce document technique détaillé fournit toutes les indications nécessaires concernant les dimensions, les assemblages et les angles de fixation.
Généralement, les plans de charpente sont réalisés à une échelle de 1/20, permettant ensuite de créer facilement l'épure (dessin à échelle réelle 1/1). Cette dernière est fondamentale pour visualiser précisément chaque élément avant la mise en œuvre.
Un plan complet comporte plusieurs éléments essentiels :
- Le tracé du lattis (vue du dessus avec élévation pour l'angle de pente)
- Le tracé de ferme (structure avec poinçon, entrait, arbalétriers)
- Le tracé des pannes (espacées entre 120 et 180 cm)
- Le tracé des chevrons (perpendiculaires aux pannes, espacés de 40 à 60 cm)
Les marques d'épure ou de plan servent de langage technique entre concepteur et charpentier. Elles incluent le ramèneret (ligne de référence), les traits de niveau et les signes d'établissage qui permettent de visualiser précisément l'emplacement de chaque pièce.
Calcul des charges et dimensionnement
Le dimensionnement d'une charpente repose sur des calculs précis prenant en compte deux types de charges à supporter :
Les charges permanentes comprennent le poids de tous les éléments constitutifs de la toiture : couverture, isolation, plafond, chevrons, liteaux et autres éléments de fixation. Pour une charpente traditionnelle, chaque matériau est recensé avec son poids spécifique, puis ramené au mètre carré selon le coefficient de pente.
Les charges temporaires, quant à elles, concernent principalement les contraintes climatiques comme la neige (classifiée par département) et le vent, ainsi que le poids d'une personne lors d'éventuelles réparations.
Conformément à l'Eurocode 5, la vérification du dimensionnement doit satisfaire deux exigences principales : la sécurité structurale (États Limites Ultimes) et l'aptitude au service (États Limites de Service). Ainsi, pour une pièce travaillant en flexion, la flèche ne doit pas dépasser 1/300e de la portée.
Aujourd'hui, des logiciels spécialisés facilitent considérablement ces calculs complexes, tout en permettant de générer des notes de calcul précises, garantissant la sécurité de l'ensemble.
Choix des essences de bois selon l'usage
Le choix judicieux des essences de bois détermine directement la longévité et la résistance de la charpente. Deux grandes catégories se distinguent :
Les bois résineux (épicéa, sapin, pin, douglas) sont économiques et idéaux pour réaliser des pièces de grande envergure grâce à leur fil long et droit. Particulièrement adaptés pour les charpentes traditionnelles et industrielles, ils nécessitent toutefois un traitement préventif contre les insectes xylophages et les champignons.
Les bois feuillus (chêne, châtaignier, hêtre) offrent une robustesse et une durabilité supérieures. Le chêne, notamment, présente une densité élevée et une excellente résistance mécanique, convenant parfaitement aux fermes principales.
Pour choisir correctement, plusieurs critères doivent être considérés :
- La classe d'emploi (minimum classe 2 pour les charpentes abritées)
- La classe de résistance mécanique (selon la norme NF EN 338)
- Le taux d'humidité du bois
- Le traitement appliqué
Il est également courant de combiner différentes essences selon les éléments : chêne pour les poutres principales, sapin pour les chevrons et peuplier pour la volige, optimisant ainsi rapport qualité-prix et performance technique.
Une charpente bien conçue et dimensionnée, réalisée avec des essences adaptées, garantira la stabilité et la pérennité de votre toiture pour des décennies.
Les assemblages traditionnels
L'assemblage des pièces de bois constitue l'essence même de l'art du charpentier. Depuis des siècles, ces techniques ingénieuses permettent de créer des structures robustes et durables sans nécessairement recourir aux éléments métalliques modernes.
Tenon et mortaise : la base de tout assemblage
Le tenon-mortaise représente la technique d'assemblage fondamentale en charpenterie traditionnelle. Dans ce système, la partie mâle (tenon) s'insère dans la partie femelle (mortaise), créant ainsi une jonction extrêmement résistante. Pour une charpente, la largeur du tenon est généralement fixée à 2,8 cm pour une profondeur de mortaise de 7 cm. La mortaise, quant à elle, est légèrement plus profonde que la longueur du tenon, généralement 8 cm pour un tenon de 7 cm.
Il existe plusieurs variantes de cet assemblage:
- Le tenon-mortaise aveugle, où le tenon disparaît presque entièrement dans la mortaise
- Le tenon-mortaise traversant, où le tenon dépasse de la mortaise et est souvent maintenu par une cheville
- Le tenon-mortaise croisé, comportant des tenons et mortaises doubles sur chaque pièce
Cependant, notons que cette technique est formellement interdite pour les ouvrages extérieurs en raison des risques d'infiltration d'eau.
L'embrèvement et ses variantes
L'embrèvement est une technique proche du tenon-mortaise mais renforcée pour supporter de plus grandes sollicitations. Dans un embrèvement standard, la largeur de l'entaille représente environ un tiers de la largeur totale de la pièce. Cette méthode est particulièrement adaptée pour assembler des pièces de bois inclinées l'une par rapport à l'autre.
Parmi ses variantes, on trouve notamment:
- L'embrèvement bâtard, utilisé lorsque les deux pièces n'ont pas la même largeur
- L'embrèvement à flottage, employé lorsqu'une pièce est en saillie sur l'autre
- L'embrèvement dépouillé, destiné aux assemblages obliques à tenon en biseau
Assemblages par moises et sabots
Les moises sont des pièces de bois jumelles qui enserrent d'autres éléments comme une mâchoire. Cette technique, appelée moisement, permet notamment de lier l'arbalétrier entre deux entraits. L'efficacité de cet assemblage est souvent renforcée par des boulons ou des chevilles.
Les sabots, quant à eux, sont des éléments métalliques facilitant la fixation des solives, pannes et poutres. On distingue principalement les sabots à ailes extérieures (classiques et résistants) et les sabots à ailes intérieures (plus discrets et adaptés aux assemblages en coin).
Techniques de fixation: chevilles, boulons et connecteurs
Pour solidifier ces assemblages, diverses techniques de fixation sont employées:
Les chevilles en bois d'acacia ou de chêne (diamètre 16-18 mm) s'insèrent dans des trous percés à la tarière. Elles renforcent notamment les assemblages tenon-mortaise et les embrèvements.
Les boulons (12,7 à 25,4 mm de diamètre) traversent entièrement les pièces à assembler. Ils sont fixés avec des écrous et des rondelles pour répartir la force de serrage. Leur déformation en flexion et l'écrasement du bois procurent un comportement ductile à l'assemblage.
Enfin, les connecteurs métalliques modernes comme les anneaux fendus et les disques de cisaillement offrent d'excellentes performances mais peuvent entraîner des ruptures fragiles par cisaillement du bois.
Éléments structurels d'une charpente
Au cœur de toute construction traditionnelle, les éléments structurels de la charpente travaillent en synergie pour garantir solidité et durabilité à l'ensemble de l'ouvrage.
Fermes : triangulée, à entrait retroussé et sur blochets
La ferme est l'élément porteur principal d'une charpente traditionnelle. De forme triangulaire, elle supporte le poids de la couverture et le transmet aux murs porteurs. On distingue trois types principaux:
La ferme triangulée est la plus classique, composée d'un entrait, de deux arbalétriers et d'un poinçon central. Cette structure indéformable peut atteindre des portées importantes, généralement entre trois et cinq mètres d'entraxe.
La ferme à entrait retroussé se caractérise par un entrait placé plus haut sur les arbalétriers. Cet entrait travaille uniquement en traction, jouant le rôle de tirant. Cette configuration permet d'augmenter la hauteur sous plafond et d'aménager les combles, idéal pour créer des espaces habitables supplémentaires.
La ferme sur blochets s'apparente à celle à entrait retroussé, mais avec des blochets à la base des arbalétriers qui limitent la pression sur les murs. Adaptée aux toitures à forte pente, sa portée atteint jusqu'à 14 mètres.
Pannes, faîtière et sablière
Les pannes sont des poutres horizontales qui relient les fermes entre elles. Elles supportent directement les chevrons et se divisent en trois types:
- La panne faîtière, située au sommet de la toiture, est délardée sur deux côtés pour s'adapter aux deux versants
- Les pannes intermédiaires (ou ventrières), disposées entre la faîtière et la sablière
- La sablière, placée à l'extrémité basse de la pente, scellée sur le chaînage de la maçonnerie
Pour une portée de 4 mètres entre fermes et un espacement d'environ 1,80 m, une section commerciale de 75 x 225 mm est généralement utilisée.
Chevrons et liteaux
Les chevrons sont cloués sur les pannes, perpendiculairement à celles-ci, dans le sens de la pente. Leur écartement, compris entre 40 et 60 cm, permet d'intégrer l'isolant. Avec des sections standards de 42 x 63 mm ou 50 x 75 mm, ils constituent le support direct des liteaux.
Les liteaux, quant à eux, sont des pièces de bois rectangulaires (15-30 mm d'épaisseur, 30-40 mm de largeur) fixées perpendiculairement aux chevrons. Ils servent de support aux matériaux de couverture comme les tuiles ou les ardoises.
Contreventement et stabilité de l'ensemble
Le contreventement assure la stabilité globale de la charpente face aux efforts horizontaux et verticaux. Il se divise en deux types principaux:
Le contreventement longitudinal utilise la technique du "lien de faîtage" pour prévenir le déversement des fermes. Il s'agit de lier les poinçons aux pannes faîtières, généralement avec des contrefiches inclinées à environ 45°.
Le contreventement dans le plan des fermes fait appel à la triangulation pour neutraliser les forces horizontales. Cette triangulation peut être constituée de bras de contreventement, de poteaux et de pannes, créant ainsi une structure rigide capable de résister aux intempéries.
Ces systèmes de stabilisation sont indispensables pour garantir la résistance de l'ensemble aux déformations structurelles et aux contraintes climatiques.
Réalisation et levage de la charpente
La concrétisation d'une charpente traditionnelle passe par deux phases essentielles : sa fabrication minutieuse en atelier et son levage précis sur le chantier. Cette étape transforme les plans et calculs en une structure réelle, solide et durable.
Préparation de l'atelier et des outils
Pour réaliser une charpente de qualité, l'outillage spécifique du charpentier est indispensable. Parmi les outils traditionnels, on trouve le cordeau à tracer, équipé d'un réservoir de poudre, qui permet d'imprimer des lignes droites précises sur de grandes pièces de bois. L'équerre de charpentier, quant à elle, garantit des angles droits parfaits lors de l'assemblage.
Pour les travaux de précision, plusieurs outils complémentaires sont nécessaires :
- Outils de traçage : règle, compas, trusquin, traceur de courbes
- Outils de tranchage : ciseaux à bois, bédane
- Outils de serrage : étau, presse à bois, serre-joint
- Outils de fixation : marteau, chevilles, clous
Techniques de traçage traditionnel
L'art du trait de charpente, développé depuis le XIIIe siècle, représente un savoir-faire unique permettant de maîtriser la conception tridimensionnelle d'un édifice complexe. Cette technique repose sur l'épure, un dessin à grandeur d'exécution tracé sur un plancher qui indique l'emplacement précis des différentes pièces.
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Le piquage, opération délicate, consiste à déterminer par des piqûres l'emplacement des assemblages sur les faces des bois. Chaque pièce est ensuite marquée selon un système codifié (marques d'épure, signes d'établissage, marques de localisation) pour faciliter l'assemblage ultérieur.
Méthodes de levage sécurisées
Une équipe de levage comprend généralement 3 à 4 personnes : un chef d'équipe qui coordonne les opérations, des levageurs et parfois un grutier. Pour un levage efficace et sécurisé, plusieurs principes fondamentaux s'appliquent :
Premièrement, vérifiez les supports de structure avant le levage. Ensuite, privilégiez le travail au sol pour limiter les interventions en hauteur. Positionnez également le système d'élingage de façon équilibrée par rapport au centre de gravité de la charge.
Fixation sur la maçonnerie
La fixation sur maçonnerie constitue un point critique pour la stabilité de l'ensemble. Sur un support plein (pierre ou béton), utilisez des goujons d'ancrage de 8 à 12 mm de diamètre. Pour les supports creux (parpaings, briques alvéolaires), préférez les chevilles mécano-chimiques qui assurent un scellement chimique efficace.
Lorsque la fixation s'effectue sur du bois, le clouage reste la solution la plus adaptée. Des connecteurs spécifiques comme les sabots et les équerres permettent d'assembler les bois à la structure du bâtiment avec précision.
Conclusion
La charpente traditionnelle représente sans aucun doute l'alliance parfaite entre l'art ancestral et la technique moderne. Les méthodes éprouvées depuis des siècles, combinées aux connaissances actuelles, permettent de créer des structures durables et esthétiques.
Ainsi, la maîtrise des assemblages traditionnels, le choix judicieux des essences de bois et le respect des règles de dimensionnement garantissent la solidité de votre charpente pour les décennies à venir. Les techniques comme le tenon-mortaise ou l'embrèvement, loin d'être obsolètes, prouvent chaque jour leur efficacité dans les constructions modernes.
Par conséquent, la réussite d'un projet de charpente traditionnelle dépend essentiellement d'une préparation minutieuse, d'une exécution précise et d'un levage sécurisé. Ces étapes cruciales nécessitent des compétences spécifiques et une attention particulière aux détails.
La charpente traditionnelle demeure finalement un choix pertinent pour ceux qui recherchent authenticité et robustesse dans leurs constructions. Son adaptabilité aux différents styles architecturaux et sa capacité à traverser les époques en font une solution durable et éprouvée pour tout projet de construction ou de rénovation.
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